Les enjeux de la sécurité affective :
21 juin 2020

Apprendre à composer

À l’heure où tout et son contraire se lit et se partage sur les réseaux sociaux, comment s’y retrouver, comment parvenir à réfléchir sans perdre le bon sens ni les atouts de nos multiples connaissances ? Comment continuer de penser la bienveillance, de lui donner cette place si précieuse pour que l’humanité tout entière ne regrette pas ses probables dérives autoritaires infondées ?

Tout commence par un coup de colère

Cette colère, elle a été largement médiatisée, relayée, politisée, elle a fait le buzz, sans que l’on se soucie réellement de la difficulté et du saccage des hôpitaux français depuis plus de 10 ans. Professionnels de santé, mais également professionnels de tous ces services restés invisibles (ménage, restauration, maintenance…) ont été revus à la baisse. La gestion comptable a pris le relais et tout s’est appauvri sous leurs yeux, sous nos yeux, sans que rien ne bouge, sans que les politiques, quelle que soit leur couleur, acceptent l’urgence de nos hôpitaux et la maltraitance qu’elle entraine pour les soignants et les patients.

Il serait indécent de le nier aujourd’hui !!

Cette colère ne se calme pas, parce que nous sommes perdus dans des informations et des contre-informations où il faut piocher ce qui nous arrange pour se rassurer. Voici de nombreuses semaines que nous sommes tous, ou presque tous ; confinés, à part de nombreux professionnels qui veillent à notre survie et toujours ces professionnels de santé que l’on applaudit à 20h. L’image est touchante, elle donne bonne conscience, elle permet de montrer au monde une image de solidarité nationale. Nous les remercions c’est certain, mais ne souhaitons-nous pas surtout les encourager, les soutenir, pour qu’ils ne craquent pas, si jamais ce fichu virus venait à nous toucher ?…

Il serait trop facile de ne garder que les applaudissements et d’oublier ce qu’ils endurent !!

Cette colère devient indicible chagrin, pour nos aînés qui ont dû faire ce dernier chemin éloignés de leur famille et de ces liens si précieux, accompagnés ou si peu accompagnés par des mains inconnues qui ont fait ce qu’elles ont pu faute… de tellement choses.

Il sera trop facile d’ériger une stèle en leur mémoire, mais saurons-nous en tirer les conséquences pour remédier aux manques de moyens et de formations pour les professionnels des EHPAD ?

Enfin, si toutefois cette colère peut pour l’instant se contenter de cette simple mise en évidence, elle se tourne à présent vers notre responsabilité vis-à-vis de nos enfants accueillis au domicile des assistant(e)s maternel(le)s, en crèche ou à l’école maternelle. Notons à ce propos que certain(e)s  assistant(e)s maternel(le)s ont accueilli sans relâche plusieurs enfants, bien au-delà des normes initiales sans protection, sans accompagnement spécifiques…

Il serait trop facile de réduire le travail de ces professionnels et de laisser sous silence leurs engagements sans faille !

Pouvons-nous seulement imaginer

Respecter l’individualisme et la désinfection à outrance avec de jeunes enfants ? Comment le sanitaire va-t-il pouvoir garder une place raisonnable et raisonnée pour ne pas mettre en péril des années de réflexions et d’acquisitions professionnelles ? Enfin, comment pourrons-nous travailler autour d’une prudence réfléchie sans risquer de se perdre dans une véritable avalanche de protocoles qui prendra le temps et la disponibilité des adultes au détriment du besoin vital de présence et de sécurité affective pour les enfants ?

La distanciation sociale n’est tout simplement pas possible avec des bébés et des tout-petits. Nous ne pouvons pas les laisser pleurer avec peut-être même des adultes qui leur expliqueraient avec détails qu’il est impossible de les prendre dans les bras à cause d’un vilain virus !

Il serait dangereux de penser que ce n’est qu’une période de transition,

De penser que très rapidement, une fois la pandémie éloignée, nous saurions revenir vers des pratiques professionnelles élaborées avant elle. Des stratégies vont se mettre en place, elles auront le nom de protocoles, règlements, organisations, marches à suivre, répartitions… Ces stratégies comportent le risque de formater les pratiques professionnelles, de les enfermer dans des organisations strictes, imposants aux enfants un type de jeu, à un moment donné, des jeux collectifs supprimés et bien d’autres dérives encore…

Une fois ce constat posé, il en va de notre responsabilité à tous de réfléchir ensemble pour que ces jeunes enfants puissent retrouver le chemin des collectivités sans les engluer dans des possibles et des impossibles obsessionnels… d’adultes. Il en va de notre responsabilité de protéger nos enfants et non pas de les sacrifier au nom de directives abusives.

Apprendre à composer

Beaucoup de professionnels, de parents feront au mieux, c’est certain… Mais pour que les professionnels, les parents et leurs enfants puissent se retrouver et inventer ces temps à venir…autrement, il est important de pouvoir se parler sereinement. Pouvoir se parler entre adultes uniquement, pour poser ses peurs, ses craintes, ses espoirs, puis en compagnie de l’enfant, par écran interposé. Beaucoup d’entre eux, même tout-petit ont peut-être pu voir régulièrement leur famille grâce aux outils informatiques. Viendra ensuite le retour dans l’institution, à la fois espérée mais sans aucun doute redoutée. Chaque détail sera important.

Ne pas bousculer le temps. La disponibilité, le temps des échanges, l’importance des regards, des cadences, de la tonalité de la voix seront d’autant plus important du fait de porter un masque. Il faudra donc plus de temps à chacun pour décrypter la tonalité de cette présence masquée, plus de temps pour trouver de nouveaux repères, de nouvelles façons de rentrer en relation et de se comprendre.

Retrouver ces détails qui n’auront pas changé Que ce soit dans l’environnement, à travers les expressions des adultes, ou bien encore les activités, il y aura ces multiples détails qui n’auront pas changé. Les rythmes et les rituels viendront vite confirmer et rappeler ce qui se passait dans ces lieux avant cette pause forcée.

Repérer tous ces possibles « co-sanitaires », tout ce qui respecterait les contraintes sanitaires mais qui sortirait de l’hygiénisme absolu. Repérer tous ces projets qui seraient éclairés par la pédagogie pour rester dans des moments où l’on peut être ensemble et jouer ensemble.

Respecter des temps de réflexions partagées via des outils informatiques, pour ne pas perdre le fil de cette aventure humaine inédite, jamais vécue auparavant et sans repères d’anticipation.

Aujourd’hui, il nous faut composer avec tout ce qui fait que nous n’avons guère le choix : Il nous faut nous protéger pour protéger chacun d’entre nous. Une affiche accrochée au balcon d’une maison à Leiden aux Pays-Bas, disait : « Je » est le nouveau « nous » ! Une réalité que nous ne devons bien sûr jamais oublier pour faire face ensemble à cette pandémie.

Nous saurons être responsables, raisonnables, créatifs, nous l’avons prouvé bien des fois, il n’en reste pas moins que toutes les stratégies qui se mettront en place ne devront pas devenir les nouvelles pratiques professionnelles car tandis que nous n’avons pas de recul ni d’acquis par rapport à cette pandémie importante, nous avons en revanche bien des connaissances sur les défaillances d’une absence de sécurité affective autour des tout-petits…

Christine Schuhl

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